25 mars 2020 – Hervé Garabédian, Directeur du Pôle Finance de Factorial Partners et Fondateur d’Alfil & Gambit.
Article rédigé en collaboration avec la revue Finance & Gestion DFCG.
Sortir des ‘cash trap’
Les grands groupes, ETI et PME françaises, en quête de croissance, continuent d’étendre leurs activités à l’international. Cela soulève de nouvelles opportunités mais aussi de nouveaux défis.
L’un des principaux problèmes pour les directions financières et/ou services de trésorerie concerne le cash piégé (ou ‘cash trap’ en anglais), rendu inaccessible dans certains pays. Cette question de la trésorerie piégée, au-delà de l’impact direct en termes de gestion et d’accès au cash, peut avoir des incidences importantes sur la valeur de l’entreprise. Par conséquent, une attention accrue doit y être portée par les trésoriers et directeurs financiers.
Les problèmes de ‘cash trap’ concernent aujourd’hui toutes les sociétés qui ont une activité internationale avec des pays qui rendent difficile ou empêche la circulation de la liquidité pour des raisons règlementaires, politiques ou fiscales.
Avant d’évoquer d’éventuelles solutions pour libérer les liquidités piégées, il est utile de revenir sur les causes qui entraînent cette situation. Nous retenons :
- la règlementation qui limite ou interdit les mouvements transfrontaliers,
- le contrôle des changes (FX),
- les exigences de fonds propres,
- les restrictions sur les prêts interentreprises,
- la taxation des flux transfrontaliers et des dividendes versés, qu’il s’agisse des taux d’imposition des sociétés (en particulier aux États-Unis), des retenues à la source sur les dividendes (un outil courant pour rapatrier des espèces) ou des impôts sur les gains en capital dans certaines juridictions,
- les risques géopolitiques, par exemple lorsqu’un pays libéral change de modèle économique et devient plus restrictif (Ukraine, Chypre et Égypte).
La trésorerie piégée représente donc un actif sous-utilisé et pose des problèmes de coût d’opportunité, de BFR et de risque. Il est donc impératif, d’étudier toutes les solutions pour rapatrier ou utiliser cet argent et déployer une stratégie spécifique.
Au cours de nos missions nous avons souvent été confrontés pour la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie, la Russie et certains pays sud-américains et africains à de vrais problèmes de remontée du cash avec des situations de blocage représentant plusieurs millions d’euros. Pour ces entreprises concernées, nous avons pu identifier que l’optimisation de la circulation de la liquidité renvoyait toujours aux problématiques et solutions suivantes :
Centralisation des flux (cashpooling et convention de trésorerie)
En ce qui concerne le cashpooling, il ne permet pas de résoudre totalement les problématiques de ‘cash trap’ mais il va faciliter sa gestion et réduire le volume des liquidités bloquées.
Des pools de trésorerie locaux peuvent facilement être mis en œuvre au niveau national ou régional. Le défi réside dans le transfert de la liquidité entre les régions (entre la société mère et ses filiales) à l’échelle mondiale. Le nombre de devises, de pays et de banques inclus dans une structure de gestion de liquidité est donc en soi un critère de sélection.
Dans l’architecture du cashpooling, lorsque cela est possible, une option consiste à ouvrir un compte en devises dans le pays de la contrepartie afin de recevoir des messages SWIFT et ainsi gagner en visibilité sur la trésorerie.
Architecture des différents véhicules juridiques
Les approches structurelles ou plus stratégiques peuvent inclure le déploiement de véhicules juridiques qui permettent d’optimiser le BFR localement ou d’effectuer des achats là où les liquidités sont bloquées puis de vendre ensuite aux autres filiales du groupe. Cela génèrera des prêts inter-sociétés. Pour ces solutions, la surveillance réglementaire et fiscale locale, les prix de transfert ainsi que les mouvements concernant les devises, doivent être pris en compte.
Organisation de la trésorerie en matière de traitement, gestion et contrôle des flux à mettre en place et anticipation des soldes dans les différents pays et devises
La visibilité est cruciale pour pouvoir surveiller les positions de trésorerie. Il s’agit de la première étape du processus pour mieux contrôler ses mouvements et leurs utilisations. Selon la nature des restrictions locales, pour fluidifier la circulation des liquidités, il peut être soit possible et nécessaire d’ouvrir un compte en devises hors du pays contraignant et de transférer les liquidités, soit de demander le paiement de la créance dans une autre devise (par exemple utilisation de l’US $ en Chine) afin de contourner les restrictions monétaires en vigueur localement. Cela suppose que la contrepartie commerciale, exposée au risque de change, accepte cette transaction.
Protocole de communication bancaire
Il faut choisir un protocole de communication bancaire approprié, SWIFT – EBICS – etc.
Netting et clearing
Il convient d’intégrer une mention spéciale concernant le netting et le clearing entre les sociétés du groupe dans la convention de trésorerie globale, pour le cas échéant, effectuer des compensations entre sociétés sans transfert de liquidité.
Prestataire bancaire
Les entreprises doivent s’assurer que leur banque peut leur fournir :
- une gamme complète de gestion de toutes les devises et une connaissance des problématiques des différents pays dans lesquels elles déploient leurs activités,
- une plate-forme électronique avancée capable de fournir la visibilité sur les positions de trésorerie et de traiter plus efficacement les paiements ou de se connecter sur ses propres outils.
Les entreprises, en collaboration avec de vrais partenaires bancaires compétents, peuvent structurer des solutions innovantes pour rapatrier la liquidité lorsque cela est possible et pour la déployer de manière plus productive conformément aux politiques internes de financement et d’investissement ainsi qu’aux réglementations externes, sachant que par ailleurs, les soldes sont traités plus favorablement lorsqu’ils sont détenus auprès de la même banque, même s’ils se trouvent dans des pays différents.
Compréhension et connaissance des pays à fortes contraintes règlementaires, juridiques et fiscales et anticipation des problèmes de circulation de la liquidité dans ces pays
A titre d’exemple, en Afrique du Sud, en raison des restrictions du contrôle des changes, les soldes en RAND (ZAR) ne peuvent pas être remontés au-delà des frontières. Des sociétés Sud-Africaines ne sont pas autorisées à détenir des ZAR offshore sans autorisation de leur banque centrale. Pour la Chine, en 2013 le gouvernement avait mis en place une ‘free trade zone’ permettant de faciliter les affaires en assouplissant les règles permettant aux entreprises de faire remonter le cash de leurs filiales locales mais depuis la crise des marchés financiers asiatiques en 2016, nous avons constaté un net durcissement concernant les remontées de dividendes et les flux en renminbis sortant du pays.
En conclusion
Quelles que soient les mesures spécifiques prises pour contourner ou atténuer le problème des espèces piégées, ces solutions doivent être conçues et déployées dans un contexte de visibilité accrue, de connaissance des marchés et de forte capacité financière. Les entreprises sont confrontées aujourd’hui à de multiples situations en ce qui concerne les environnements réglementaires et les pratiques commerciales locales. Tout changement peut-être complexe et rapide comme nous avons pu le constater en chine avec le RMB.
Le problème des ‘cash trap’ n’est pas nouveau, notamment pour l’Asie, mais il semblerait que nous entrions dans une période de fort protectionnisme qui touche même des pays plus libéraux comme le Brésil et les États Unis. Face à ce problème croissant, il n’y a pas de recette miracle à appliquer de manière globale à toutes les entreprises au vu des spécificités liées à l’activité, l’organisation, les pays, les devises, les partenaires bancaires, … mais il existe une approche et une méthodologie commune permettant de réduire ces situations de ‘cash trap’.
Il est important de noter que les solutions évoquées n’entraînent pas un rapatriement complet de toutes les liquidités piégées. Cependant, dans la mesure où des espèces sont libérées, cela entraine une atténuation des risques et permet aux entreprises de déployer plus efficacement leurs liquidités.